Tout seul sur cette plage, et tout nu…
J’ai jeté au vent tous les colifichets,
toutes les fariboles dont tu m’entourais,
et tous les oripeaux !
Les petites lettres, les petits mails,
le babil incessant
et toutes les cartes d’anniversaire
que tu envoyais au monde entier
pour montrer, comme au théâtre,
ton grand cœur
au plus large public possible.
A tous les coins de rue,
tu le montrais ton cœur
comme un exhibitionniste
montre sa queue.
Et pour t’applaudir
il fallait un psychiatre,
(et moi ça me châtre)
et qu’il t’applaudisse encore,
et qu’il bisse,
et qu’il trisse…
C’est fait ! Tu dois être heureuse…
En premier lieu, j’ai jeté tes cucuteries,
les petits mots sucrés pour ton amie :
-« Elle est blonde comme moi,
porte le même prénom que moi,
elle est née le même jour que moi,
elle habite l’appartement sous le mien,
(un rez avec jardin)
c’est plus qu’une amie…
mon double, ma sœur, ma jumelle…
Et divine coïncidence :
nous aimons toutes deux
les anges…
en petits bibelots. »
Que tu maniais bien la truelle,
dans l’art d’ étaler les confitures
dans ton esprit.
Spontanée, mais pas née, toi non plus.
Il fallait trop de monde autour de toi,
autour de ton berceau.
Plus de place pour moi.
Qu’aurais-je fait, moi, dans ce zoo ?
Trop de monde c’est trop
quand on veut être à deux !
Tu as commencé à me perdre ce jour-là,
quand tu as présenté –candide ?- ta jumelle
à ta mère…
Cela m’a beaucoup attristé.
J’aurais dû rire à m’en péter les carotides,
à m’en arracher la luette…
Mais j’ai mis trop longtemps à cliquer.
Je le regrette…
Je n’ai plus que la peau sur les os.
Et plus de peau
sur mon cœur écorché.
Les oripeaux
sont tous tombés.
Même quand tu riais,
je viens de le comprendre,
tu ne riais pas vraiment.
C’était faux !
C’était un jeu, c’était un cirque…
Un vrai rire, comme l’amour vrai,
dure toute la vie,
et même au-delà.
Un vrai rire est libérateur,
il résonne à l’infini.
Pas besoin d’un balai psychiatrique
ni d’un ballet de mots excentriques,
ni de conceptions pédantes…
Je suis seul face à la mer…
J’écris ces phrases pour moi seul
dans le sable dur.
Elles aussi s’effaceront…
Qui les lira ? Personne…
Ou en tout cas, personne ne comprendra.
L’eau les nettoie,
l’eau nous efface, toi et moi…
Seul face à la mer immense,
oui…ce jour-là, elle seule pouvait combler
le vide de ton absence.
La mer et moi c’est une liaison fusionnelle
(un mot que tu n’aimes pas)
-avec toi c’était presque « fusionul »…
Je suis assis, le cul dans l’eau…
Je pète, je fais des bulles,
c’est la fin de mon lamento.
La sensation que la mer me pénètre,
emprisonne mon sexe de sa main froide
aux multiples doigts d’écume,
se glisse entre mes fesses…
Je ne frémis même pas.
Et j’attends… j’attends quoi ?
Je ne sais pas au juste….
Je regarde au loin, je scrute les nuages
qui écrivent de gros mots
comme des jurons tout gris dans le ciel bleu,
ou j’attends peut-être l’un ou l’autre mirage
qui, naissant de la mer,
pourrait me rendre heureux…
Notre complicité n’est plus, qui l’eût crû ?
Adieu falbalas ! Adieu horripilants oripeaux,
la mer vous emporte dans son reflux…
J’y jette aussi une carte postale
toute bleue,
adressée à une fée inconnue.
Le bleu est la couleur de la magie
(tu te souviens ?)
Sur cette carte rien n’est écrit,
aucun mot, aucune phrase pompeuse
dont seule tu as le secret.
Le bleu contient ce que je pense
sans jamais le dire à personne.
C’est tout.
Sans rien faire lire aux coquillages vides,
sans disserter avec les crabes miteux,
sans me confier aux méduses échouées,
sans me dévoiler aux grains de sable
du monde entier…
Une pensée qui n’apparaîtrait
qu’à une seule, blanche, jolie,
unique et rare tourelle,
comme un cadeau très personnel
que je lui offrirais.
Le seul coquillage, la seule tourelle
qui soit encore habitée.
Une pensée n’a pas de mots…
Elle se dévoile simplement quand on la frôle
d’un doigt ou d’un sourire gentil.
La mer l’avale ma carte,
plus avide qu’une boite aux lettres,
plus avide que toi…
pour une pensée qui vient de moi.
L’impression fugace qu’une nymphe,
une fée de la mer,
-une vraie cette fois-
surgira peut-être des flots
ou de cette tourelle…
Nous serions seuls sur cette plage,
vraiment seuls,
et ce serait comme si nous étions mille,
avec plein de clones d’elle et moi,
à se parler sans voix,
avec les yeux…
Accompagnés en sourdine
du bruit seul des vagues complices.
Et c’est fou ce qu’on rirait aux éclats !
Elle aurait de petits seins mignons,
de longues jambes galbées
et me montrerait ses jolis pieds
pour me faire bien voir
qu’elle n’est pas une sirène…
Pour bien me faire comprendre
que notre histoire ne pourrait pas
-comme une queue de poisson-
s’achever.
Mais ce n’est qu’un vrai rêve…
à ce jour.