1. LES MAINS DE LA MOMIE….
Un village dans la tête… Une maison me prend avec ses doigts doux, longs et lisses…. Un petit coin de campagne anglaise.
Dans ma main quatre cartes de poker, quatre dames ! Elles ont toutes le visage de celle que j’aime, qui est à mes côtés, chaude, alanguie, avec le sourire énigmatique de l’ivoire chinois, et la douceur d’un ange. Beau jeu ! Je vais gagner la mise énorme : une vie heureuse avec elle !
La première carte c’est la dame de cœur, la suivante est ma sœur complice, la troisième pourrait être ma fille, une jeune fée surprenante, et la dernière une adorable confidente maternelle, avec de jolies rides aux coins de tous ses yeux, même ceux qu’elle a derrière la tête et partout.
Elle a tout pour elle, elle est tout pour moi !
Un matin froid, la première carte s'est envolée dans un coup de bourrasque ! Où ? Le saura-t-on jamais ?
Mes mains, parcheminées de trop écrire, sont trop vieilles. Elles n’ont plus la force de résister aux tempêtes intérieures des autres. Elles ne l'ont pas retenue. Ou pas assez ! Je la vois prendre le vent à la vitesse d’un train, et très vite trop lointaine, m’arracher les yeux à tenter d’apercevoir une dernière fois un bout de peau, le galbe d’une jambe.
Ne restent plus que trois cartes. Oui, je pourrais les aimer toutes… De façon subite, qui gâche le paysage champêtre, tout alentour, sauvage et incongru, surgit un trou immense où se trouvait la première carte. Un trou qui ne cesse de grandir, me transperce la main, me mange les doigts, m'aspire l’âme, me croque la tête avec des dents de crocodile, et tout le corps qui tombe en lambeaux.
C'est vrai, je suis bien trop millénaire ! Attendre trop longtemps d’avoir les quatre cartes en mains.
Parfois ça prend toute une vie…
2. UNE IMPASSE EN VAUT UNE AUTRE …
Il y a parfois plusieurs façons de sortir d’une impasse. La femme que j’aime n’est pas très généreuse. Elle ne m’en laisse qu’une seule.
Pendant qu’elle s’envole, cette fois sans me lancer le sort « momie » avec deux doigts crochus que je ne lui avais jamais connus et ses jambes disjointes dans un superbe crawl aérien.
Je respire un peu mieux. Il n’y a pas de trous dans les trois cartes qui restent. Mes doigts ne sont pas mangés. Mais mon amoureuse s’éloigne tout de même, méprisante ! A grande vitesse.
Comme si elle fuyait la peste.
Cartes transformistes, elles se modifient subitement, les visages ne sont plus tout-à-fait ceux de vraies dames. Outrageusement maquillés, la peau jaune ou brune d’africains du nord, les cils longs, des dents de vampires, le sourire faux de foutus raconteurs de bobards, ils dardent vers moi leurs yeux de carton brillant tout énamourés pour m’enlever toute méfiance.
Entre les plis bariolés de leurs toges un gros gland vermillon fendu, brillant comme s’il venait tout juste d’être ciré, apparait montrant un sexe à tête bifide à l’allure de celle d’un serpent.
Je frémis ! Même s’ils ne sont pas complètement nus, ils sont tellement indécents qu’ils pourraient figurer aux frontons du temple d’Angkor.
Je secoue les mains. Les cartes ne me lâchent pas, elles me collent aux doigts. Virus sparadrap du joueur ? Je t’appelle au secours ! Je n’ai que toi !
Une voix comme un orage se lève dans le ciel. Je la reconnais…
C’est celle d’un cubain noir, l’un de tes collègues au visage gris grêlé, appuyé au piano d’un passé récent. Il s’accompagne d’accords désaccordés assez funèbres. Je lève les yeux. Sa bouche est comme du métal en fusion mais au centre brille un trou rond presque parfait d’obscénité.
C’est le canon d’un revolver ancien à barillet. Il date de la révolution de La Havane. Il a pris la place de son visage : bouche pleine de bave, de poudre blanche, de dynamite, de rites vaudous, de drogue, de médisance ou de voyance subliminale !
Roulette russe percutée ! Le bruit d’un orage. La balle me jette sur le sol, éclatant ma poitrine d’une fleur rouge vénéneuse avec la force d’une pieuvre géante dont les tentacules m’empêchent de respirer. La voix me poursuit en échos…
Elle dit, ricaneuse, que tes enfants seront maghrébins !
Ho … Bretonne ! Que fais-tu ? Où es-tu ?
Demain on m’enterre dans un petit jardin vert, à Glimes, non loin de Namur mon amour…