APPEL SOLENNEL
à Monsieur Jean-Louis BORLOO, Ministre de l’Ecologie,
du Développement et de l’Aménagement durables,
à Madame Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,
Secrétaire d’État chargée de l’Ecologie
ainsi qu’à tous les participants au
“GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT”
d’octobre 2007
par Pierre LANCE
écrivain, philosophe, sociologue
Monsieur le Ministre,
Madame la Secrétaire d’État,
Mesdames et Messieurs les Délégués,
En 52 avant J.-C., Vercingétorix s’enferma dans Alésia pour fixer autour de lui les légions romaines et il envoya des émissaires dans toute la Gaule dans le but de réunir la plus formidable armée imaginable à cette époque. Le but du jeune chef arverne était de provoquer une ruée en masse, rapide comme la foudre, qui devait surprendre et tailler en pièces les ennemis de son pays. Si ce projet avait réussi, l’impérialisme-étatisme romain n’aurait pas subjugué l’Europe et n’aurait pas corrompu pour de nombreux siècles l’évolution de la civilisation occidentale.
Mais, comme chacun sait, le projet échoua. Pourquoi ? Parce qu’au lieu d’agir énergiquement et vivement, comme la situation l’exigeait, les chefs de l’armée de secours perdirent plusieurs semaines en concertations, discussions, palabres, débats, tractations et compromis de toutes sortes et manquèrent le rendez-vous avec les assiégés. De ce fait, nos ancêtres les Gaulois, adorateurs des arbres et des sources, écologistes donc avant la lettre, perdirent leur indépendance et, avec elle, la philosophie naturaliste qui était la leur.
C’est ce qui fit écrire beaucoup plus tard à l’historien britannique Will Durant, dans son œuvre monumentale The Story of Civilization : “...Le siège d’Alésia eut pour conséquence de soumettre à une orientation radicalement transformée toute l’histoire de la civilisation française.” Et à travers elle, ajouterai-je, l’européenne.
Eh bien je crains fort, Monsieur le Ministre, Madame la Secrétaire d’État, Mesdames et Messieurs les Délégués, que votre “Grenelle de l’environnement”, tel que je le vois engagé, ne se termine en “Alésia de l’environnement”. Faudrait-il admettre que notre peuple sera toujours incapable d’agir quand il le faut, et toujours enclin à noyer dans le bavardage les actions les plus nécessaires ? “Ceux qui ne comprennent pas le passé sont condamnés à le revivre”, disait Goethe fort justement.
En septembre 2002, à Johannesburg, au Sommet de la Terre organisé par les Nations Unies et réunissant plus de 100 Chefs d’État et de gouvernement ainsi que 22.000 délégués de 191 nations, Jacques Chirac, inspiré par Nicolas Hulot, s’écriait : “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs !”.
Après quoi l’on a beaucoup discuté.
Cinq années ont passé sans que rien de décisif ne soit entrepris. Aujourd’hui, la maison est à moitié brûlée, et l’on discute encore.
La banquise fond à toute allure. Et l’on discute...
Les forêts tropicales disparaissent à toute vitesse. Et l’on discute...
Les poisons chimiques follement dispersés dans la nature ont pénétré au cœur de toutes les espèces vivantes, hommes inclus. Et l’on discute...
La production des spermatozoïdes humains a baissé de moitié en trente ans, ce qui est une terrible atteinte à la vitalité de notre espèce. Et l’on discute...
Les terres cultivables épuisées et bombardées de pesticides et d’engrais voient leur production décliner en quantité, s’effondrer en qualité. Et l’on discute...
Le cancer, le sida et toutes les maladies dégénératives explosent. Et l’on discute...
Les maladies nosocomiales et iatrogènes, c’est-à-dire provoquées par la médecine elle-même, atteignent des proportions affolantes. Et l’on discute...
Les enfants, plus vulnérables que les adultes, sont de plus en plus victimes des allergies, de l’asthme, de l’autisme, de la leucémie aiguë. Et l’on discute...
Les incinérateurs diffusent dans l’atmosphère des dioxines aux effets neurotoxiques avérés qui se répandent au loin sur les herbages et les cultures et s’accumulent dans les matières grasses des viandes, des poissons, des produits laitiers. On en retrouve dans le cordon ombilical des nouveau-nés, le liquide amniotique, le lait maternel. Et l’on discute...
Bref, la planète entière est corrompue à mort par une industrie chimique tombée aux mains de mégalomanes irresponsables et inconscients que les pouvoirs publics sont incapables de juguler et qui conduisent l’espèce humaine au suicide sous hypnose.
Vous le savez tous. Et vous voulez encore discuter ?
Mais discuter de quoi, sacrebleu ?
De mesurettes totalement ineptes comme la réduction de la vitesse des véhicules de 10 kilomètres à l’heure, que personne ne respectera, un étiquetage des produits intégrant le coût environnemental, que personne ne lira, ou la création d’un “Collège environnement” au Conseil économique et social, que personne n’écoutera ?
La maison brûle, et pour éteindre l’incendie, vous brandissez des pistolets à eau ?
Vous voulez discuter, un peu plus sérieusement, de multiplier par trois la surface des cultures françaises en agriculture biologique à l’horizon 2010, et de la multiplier par dix à l’horizon 2020.
Quel horizon ? Il n’y a plus d’horizon ! Notre horizon est complètement ténébreux.
En 2020, vos enfants et petits-enfants seront presque tous cancéreux. Vous-mêmes serez parkinsoniens ou alzheimeristes. Et franchement, à lire vos sujets de discussion, je me demande même si vous n’êtes pas déjà tous menacés par la sénilité précoce.
Mais bon sang, l’agriculture biologique, c’est-à-dire la seule qui puisse progressivement nous rendre la santé et préserver celle des générations futures, occupe aujourd’hui 2 % de la surface agricole française ! Et vous considérez comme des objectifs ambitieux qu’elle en occupe 6 % seulement en 2010 et 20 % en 2020 ? La dégradation de nos organismes a pris le TGV et vous prétendez la rattraper au train des limaces ?
Si vous ne voulez pas que votre “Grenelle de l’environnement” devienne la plus honteuse défaite de la nation française, éclipsant Azincourt, Waterloo et Sedan réunis, il vous faut sonner la charge et adopter un calendrier offensif de décisions radicales qui révèlera au monde entier de quoi les Français sont capables lorsqu’ils se réveillent.
Car, ne vous y trompez pas, c’est bien une guerre que vous avez à livrer. Une guerre implacable contre la sottise, l’aveuglement, la rapacité, la lâcheté et l’inertie. Et si vous voulez remporter la victoire, celle de l’intelligence, du courage et de la lucidité, il n’y a pas une semaine à perdre. De toute évidence, il convient :
- D’orienter toute l’agriculture française vers le 100 % biologique, et cela en moins de cinq ans.
- De couvrir de capteurs solaires les toits de tous les immeubles, l’Etat devant montrer l’exemple en équipant ainsi tous les bâtiments administratifs, écoles, hôpitaux, perceptions, etc., cela aussi en moins de cinq ans.
- De mettre en œuvre toutes les productions possibles d’énergie renouvelable avec liberté complète pour les producteurs privés qui pourront le faire de vendre directement leur électricité aux consommateurs locaux, sans être obligés de passer par l’EDF, dont le monopole de distribution doit être aboli sans délai.
- De stopper au plus vite tous les incinérateurs et d’accélérer les solutions de remplacement pour la gestion des déchets (récupération et recyclage des déchets matériels, production de méthane avec les déchets organiques).
- D’obtenir des industriels le zéro-pollution et l’organisation préliminaire à toute nouvelle production de la récupération et du recyclage de leurs produits usagés.
- De refuser toute importation de produits étrangers dont les conditions de fabrication ne répondraient pas aux normes sanitaires et écologiques françaises, tant en ce qui concerne le produit fini que les conditions de travail de ceux qui le fabriquent.
Cette liste est évidemment loin d’être exhaustive et ne recense que les quelques mesures les plus urgentes, à prendre toutes affaires cessantes.
J’en ajouterai une encore, la plus importante et la plus décisive de toutes, mais qui est recouverte d’un véritable tabou, y compris chez les écologistes les plus convaincus : Il est indispensable de stopper sur toute la planète l’explosion démographique en cours.
Je m’étonne et me scandalise que personne ne veuille s’avouer que la cause première de toutes les dégradations de l’environnement que nous subissons n’est autre que la prolifération démentielle des humains sur notre planète de plus en plus exigûe. Si la multiplication des hommes n’est pas stoppée net, il est inutile de rêver à une quelconque sauvegarde de la nature et de notre santé, car nous périrons tous, détruits par nos maladies, asphyxiés par nos miasmes, enlisés dans nos ordures.
J’entends avec effarement prononcer des vœux pieux concernant la diminution des gaz à effet de serre (leur effet polluant étant d’ailleurs le plus inquiétant). Or, nul ne peut ignorer que les pays émergents, notamment la Chine et l’Inde, non seulement ne parviennent pas à réduire leur natalité, mais visent en outre à hausser leur niveau de vie individuel, ce qui est parfaitement légitime, mais se traduit immanquablement par une multiplication du nombre des automobiles et autres appareils dévoreurs d’énergie, donc une augmentation constante et irrémédiable des gaz polluants dans l’atmosphère. Dans ces conditions, seuls d’indécrottables utopistes peuvent s’imaginer qu’ils vont pouvoir diminuer si peu que ce soit les émissions de gaz polluants et la destruction des forêts primaires, si les pays asiatiques, africains et sud-américains n’organisent pas en moins de cinq ans la réduction drastique de leur natalité, à l’exemple des pays développés d’Europe et d’Amérique du Nord. Et il convient pour cela, en premier lieu, que les chefs religieux de toutes obédiences les y incitent, abandonnent leur vision archaïque et désormais collectivement suicidaire de la reproduction humaine et rendent aux femmes la propriété de leur corps.
J’aimerais que les hommes politiques ne soient plus intimidés par des organisations religieuses qui prétendent être en relation directe avec le Ciel, mais qui semblent fâcheusement déconnectées des réalités de la Terre. Je voudrais qu’un Chef d’État – pourquoi pas le nôtre ? – prenne l’initiative d’une conférence mondiale des religions qui aurait pour but d’examiner, en écoutant des sociologues et des prévisionnistes, si la prolifération continue des humains est vraiment de nature à servir ce qu’elles nomment « l’œuvre du Créateur » ou si, au contraire, cette natalité sans frein n’est pas l’agent sournois d’une destructivité diabolique qu’il convient de juguler.
Je le répète : nous n’avons pas cinquante ans, ni vingt ans, ni même dix ans devant nous pour sauvegarder l’avenir de notre espèce. C’est en moins de cinq ans qu’il nous faut redresser la barre du Titanic planétaire, sinon notre civilisation connaîtra le sort du présomptueux paquebot, inéluctablement, et sombrera corps et biens.
J’entends dire, ici et là, que le coût d’une révolution écologiste rapide serait difficilement supportable par l’économie française, dans l’état précaire où elle se trouve actuellement. Outre que je n’ai jamais entendu quelqu’un oser dire à des pompiers au feu que l’eau coûtait cher, j’affirme qu’une politique écologiste audacieuse et résolue serait rentable à moyen terme. Elle le serait d’abord politiquement, en offrant à la France un rôle de premier plan sur la scène mondiale et en donnant aux Français eux-mêmes le sentiment gratifiant et revigorant de se trouver enfin de nouveau à la tête du véritable progrès. Mais elle le serait aussi économiquement, d’abord en produisant de la santé et de la vigueur pour tous, donc en réduisant les dépenses médicales de plus en plus exorbitantes, qui sont un véritable boulet aux pieds de notre nation, ensuite en offrant aux touristes du monde entier des raisons supplémentaires de visiter le premier pays au monde à offrir un air sain, des eaux propres et une nourriture parfaitement naturelle grâce à une agriculture en totalité biologique.
En 1777, La Fayette s’embarqua pour l’Amérique du Nord, afin de prêter main-forte aux “insurgents”. Celui qu’on appela “le héros des deux mondes” eut une part décisive dans la naissance des Etats-Unis, avant de revenir chez nous participer à la Révolution française. C’est ainsi qu’à la fin du dix-huitième siècle, les Etats-Unis et la France accouchèrent conjointement de la démocratie moderne, inaugurant une ère nouvelle pour toute l’humanité. Cet accouchement se fit, hélas, dans la douleur, puisque les hommes ne semblent pas capables de changer le monde sans l’ensanglanter. Peut-être sommes-nous en droit d’espérer qu’en ce début de XXIe siècle les réformes se fassent avec moins de brutalité. En tout cas, aujourd’hui, c’est encore l’ouverture d’une ère nouvelle que le monde attend. Une ère nouvelle pour la sauvegarde de la nature nourricière à laquelle l’agressivité technologique des hommes a porté gravement atteinte. Et c’est peut-être, encore, la France et les Etats-Unis qui pourraient ouvrir ensemble ce nouveau chapitre de l’histoire mondiale.
Aussi me suis-je pris à rêver qu’à l’issue d’un triomphal “Grenelle de l’environnement” qui aurait su vous unir tous dans une farouche résolution de changer le monde par des mesures vraiment révolutionnaires, dans l’esprit sinon dans la forme, M. le Ministre Jean-Louis Borloo, tel un nouveau La Fayette, s’embarque vers les Etats-Unis afin de décider nos amis américains à entreprendre avec nous la rénovation radicale de notre berceau planétaire. Car s’il est vrai que l’administration américaine actuelle s’est montrée pour le moins réticente à prendre en compte les destructions gravissimes de notre environnement causées par le développement mal maîtrisé de nos industries, il n’en existe pas moins dans l’opinion publique américaine, et en tout cas dans beaucoup de grandes villes, une réelle adhésion aux préoccupations écologistes. Une forte implication du peuple français et de son gouvernement pourrait être de nature à décider les Etats-Unis à prendre à nos côtés la tête du mouvement écologiste mondial, comme l’a souhaité opportunément le Président Sarkozy.
Dans l’espoir que ce message sera entendu, et que les décisions prises par la France seront à la hauteur des enjeux et des urgences, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, Madame la Secrétaire d’État, Mesdames et Messieurs les Délégués, mes encouragements les plus chaleureux.
Pierre LANCE*
[email protected]
(Site Internet : http://assoc.wanadoo.fr/lerenouvelle/pub)
*auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont un roman d’anticipation écologiste (« Le Premier Président » - Filipacchi, 1993) qui situait en 2004 la montée des périls
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