Bernard Werber, à l’origine brillant journaliste scientifique est devenu en quelques années l’un des écrivains à succès les plus appréciés par les 18-40 ans… Devant la table, dans le stand des éditions Albin Michel, lors de la Foire du Livre de Bruxelles de Mars 2008, serpente une file immense d’amateurs qui veulent faire signer un ou plusieurs exemplaires de ses livres.
Werber est souriant, il prend le temps d’interroger ses lecteurs, de communiquer avec eux, de s’enquérir de leurs activités… Et bien sûr, il signe, mais il s’amuse à dessiner aussi. On sent qu’il prend plaisir à cet échange, peut-être même qu’il en tire quelques enseignements. Et d’une façon certaine il prend plaisir à répondre aux questions de ses lecteurs, à toutes les questions … Même à celles d’un autre journaliste qu’il invite cordialement à s’asseoir à ses côtés.
Ainsi il affirme que l’écriture d’un romancier est le prolongement logique du métier de journaliste toujours limité par le réel : -« J’écris des romans pour me libérer de l’obligation d’écrire des choses vraies… Quant au succès il vient du contenu de ce que l’on apprend aux lecteurs, mais à côté de cela, il y a vraisemblablement beaucoup d’autres facteurs complètement incontrôlables qui participent au succès d’un livre. »
Et là aussi, on sent très nettement que écrire des romans ça l’amuse beaucoup plus que de faire des articles pour un journal. Et l’on se doute que le succès vient sûrement de l’originalité des sujets traités : les fourmis, les anges, les dieux… Mais à propos, sur quel nouveau sujet travaille-t-il pour l’instant ? -« Les femmes » me répond-t-il en riant… De fait il travaille sur un recueil de 20 nouvelles dont une est réservée aux femmes.
Arrêter le train de la folie
Passionnant de savoir si Bernard Werber, le scientifique, imagine une recette pour arrêter ce train de la folie qui mène aujourd’hui (et surtout demain) les hommes vers leur perte ? En 1968 on disait : Arrêtez le Monde, je veux descendre… mais aujourd’hui ?
-« Une seule recette et aussi la clé du système : maîtriser définitivement, mais partout en même temps dans le monde, la croissance démographique. Un milliard de Chinois ! Vous imaginez la pollution gigantesque lorsqu’ils auront tous une voiture ? Et au nom de quoi leur interdire ? Non, il faut que les gens, partout et tous en même temps, je le répète, n’aient qu’un seul enfant, qu’ils s’en occupent, qu’ils l’éduquent, et surtout qu’ils l’aiment. Toute croissance démographique sauvage mène à la guerre et à la pollution. Et une fois que cette croissance est stabilisée, il faut répartir les richesses de façon équitable ».
-Ecrire un ouvrage original, presque inclassable, comme « l’Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu », est-ce une façon de se faire plaisir, de faire de la contestation, d’éveiller la curiosité des lecteurs sur des sujets parfois oubliés ou de planter dans leur esprit une petite graine de sagesse ?
-« C’est amusant votre question, la réponse est : tout cela à la fois. Mais surtout, à l’origine ce livre était réclamé par les lecteurs. Il y avait ainsi dans mes romans de petites choses inconnues, et, ou bizarres qui apparaissaient. C’était une bonne idée que de les rassembler dans une espèce d’encyclopédie ».
Changer le monde
Et si l’on demandait à l’écrivain Bernard Werber s’il a le secret espoir de changer le monde… Et quelle est la meilleure chose que l’avenir puisse nous réserver… et la pire ?
-« Le monde va changer. J’en suis sûr. Et oui, j’écris pour essayer de participer à ces changements. Et le fait que j’ai beaucoup de lecteurs me laisse penser que le monde a envie de changer. Même les politiciens, au début de leur carrière, sont sincères et ont envie de changer… La meilleure chose ? Atteindre une situation d’harmonie entre l’homme et la nature, laquelle entraînera une harmonie entre les hommes et les hommes. Quant à la pire des choses, c’est que les réactionnaires gagnent, c’est-à-dire que la peur, la violence et la bêtise gagnent ».
Ecrivain le plus original de son temps, Bernard Werber fait un peu penser à René Barjavel au début de sa carrière. Mêmes préoccupations, même recherche d’un certain bonheur collectif. Mais Barjavel était davantage littéraire, Werber va droit au but, de façon plus incisive, plus cruellement moqueuse pour nos travers. C’est que les temps ne sont plus les mêmes. Barjavel avait encore un peu le temps de flâner agréablement du côté des utopies, tandis qu’aujourd’hui nous sommes devant l’urgence, une urgence impitoyable et terriblement dangereuse
Jean-Luc Vernal.